Némésis - « Roaring Bravery »

" Il a été décidé par notre chef Aria qu'Almasi sera une future chasseresse, comme ses parents. Elle sera donc éduquée dans cette optique. "
Chaque Métamorphe, à l'âge de douze ans, se fait attribuer un futur métier et tout ceci est annoncé au campement le soir venu.

Et c'est ce soir-là que ma vie au campement a réellement commencé.

J'ai été immédiatement prise en charge par un jeune mentor de 20 ans du nom d'Axel. C'était un jeune homme en parfaite santé, mais la raison pour laquelle il était condamné à rester au campement, c'est que... son animal totem, c'était l'hippocampe. Et le déclenchement de sa transformation était encore pire : dès qu'il ressentait de la gêne, pouf ! Le voilà tout petit et surtout, extrêmement vulnérable sur la terre ferme. Une belle ironie du sort : beaucoup de personnes aimeraient devenir aussi petites qu'une souris lorsqu'elles sont gênées, mais lui, absolument pas ! Le voir pester contre son sort m'amusait énormément lorsque j'avais douze ans. Après, la maturité m'a fait un peu réfléchir sur cette question. Axel était un métamorphe très fragile, au final. Une proie facile pour les chasseurs.

C'est en le regardant que j'ai compris que j'avais énormément de chance d'être la personne que je suis. L'empathie que je ressentais pour lui m'a enseignée, très jeune, une grande leçon de modestie. Même si je le considérais comme mon grand frère, c'était en réalité moi qui veillait sur lui la plupart du temps. En effet, Axel étant quelqu'un d'un peu timide à l'époque, il suffisait que la fille lui ayant tapé à l’œil vienne le voir et... une fois partie, il ne pouvait contenir toute la gène accumulée, et se transformait directement en hippocampe. J'étais du coup chargée de le mettre le plus rapidement possible en sécurité dans une petite boite pleine d'eau de mer, jusqu'à ce que sa transformation cesse. Heureusement, cela ne durait qu'une vingtaine de secondes. Enfin une bonne nouvelle, me direz-vous.

Axel m'a donc enseigné les bases du métier de chasseresse. Évidemment, vu qu'il ne le pratiquait pas lui-même, il ne me parlait que de théorie ; et j'étais trop jeune pour aller sur le terrain. Par contre, je savais que mes parents partaient tous les jours à la forêt pour travailler ensemble, et je les bombardais sans cesse de supplications pour venir avec eux, rien qu'une petite heure. Le " Non ! " était immédiat. Étant une gentille fille modèle, j'ai décidé d'obéir à mes parents et je n'ai pas mis les pieds dans la forêt jusqu'à ma majorité. Ou presque. Si on oublie les fois que j'ai voulu fuguer, et où Axel est revenu me chercher par la peau des fesses.

Il n'y a qu'une chose qui m'ait vraiment marquée durant mon enfance : on avait beau dire que j'étais née sous le totem du Tigre, aucune preuve de cela ne se montrait sur mon corps. Pas une seule griffe, oreille, queue animale. C'était comme si j'étais humaine. Mon père en venait à faire les gros yeux à ma mère, car il commençait à soupçonner un adultère... Et surtout, c'était inévitable que les moqueries des autres jeunes Métamorphes me pleuvaient dessus. Espionne, adoptée, fausse métamorphe... j'en ai entendu des vertes et des pas mûres, si bien que je me posais moi-même la question sur qui j'étais vraiment. Je me souviens en particulier d'une journée où, suite à quelques piques lancées contre moi, un vieil homme est passé et nous a dit, à moi et aux autres adolescents :

Ne jamais réveiller l'eau qui dort.

Et, alors qu'une fille en face de moi exprimait son incompréhension, le vieillard s'en alla lentement en riant. Comme si il avait prédit mon futur. Un bien funeste futur, en réalité...

A l'âge de mes dix-huit ans, il n'y avait toujours pas de trace de mon animal totem. J'avais beau prier, lui poser des questions, lui demander pourquoi il ne me répondait pas... le Tigre ne m'a jamais donné d'indice. Plus personne ne se moquait de moi depuis plusieurs années. A vrai dire, on avait maintenant pitié de moi. Même les plus âgés restaient silencieux devant mon cas. Personne n'osait me jeter la pierre en disant que je n'étais qu'une humaine, parce que dès que le sujet était soulevé, ma mère faisait taire tout le monde d'un rugissement furieux. Tout ce grabuge à mon propos me rendait assez malheureuse, et mon seul soutien, c'était mes parents et Axel. Finalement, il y eut un terme à tout ceci. La vérité sur cette affaire pointa enfin le bout de son nez.

Alors que j'étais de sortie à la forêt avec mes parents, qui maintenant étaient chargés de m'apprendre le métier sur le terrain, j'étais loin de me douter de ce qui allait se passer. Je n'avais encore jamais vu de chasseurs. Seulement quelques uns de leurs pièges que j'ai appris à désarmer. Tout ceci s'est passé alors que mon père était parti chasser plus loin. J'étais seule avec ma mère. Je me souviens avoir détourné le regard sur un arbre turbulent, et quand j'ai de nouveau regardé en face de moi, j'ai vu trois chasseurs nous bondir dessus sans crier gare. Ma mère n'a pas réfléchi très longtemps : elle a sorti un couteau de sa poche, s'est coupée, puis a léché un peu de son sang : c'est ce qui déclenche sa transformation.

J'étais totalement paniquée en voyant ma mère se jeter sur les ennemis. Je hurlais le nom de mon père, mais personne ne venait. Les trois humains avaient du mal à maitriser la tigresse, mais je ne pouvais bouger, car l'un d'entre eux me pointait de son fusil. C'était une façon de me dire que, une fois qu'ils auront mis ma mère hors d’état de nuire, je serai la suivante. J'ai vu ma mère tourner sa tête dans ma direction. Son regard me suppliait de fuir. Sur le moment, je voulais partir au Calaix avec ma mère. Mais j'ai pensé à mon père. Je l'ai imaginé perdre les deux amours de sa vie à la fois. Il n'aurait jamais souhaité cela. Ma mère n'aurait jamais souhaité ma mort non plus. Alors j'ai décidé de l'abandonner, à contre-cœur. Alors que ma mère tentait une ultime attaque pour déstabiliser le chasseur au fusil, je me suis brusquement retournée, et puis je me suis enfuie sans regarder derrière moi. J'ai hurlé de désespoir pendant ma course, mais un coup de feu m'a fait taire.

Quand je suis rentrée au campement, je suis tombée à genoux et je n'ai plus bougé pendant une demi-heure. Beaucoup de monde se sont réunis autour de moi pour tenter de me faire parler, en vain. C'est finalement quand mon père est arrivé, ne se doutant de rien jusque là, que je me suis mise à hurler que ma mère était morte. Mon pire cauchemar était effectivement devenu réalité. Perdre ma mère était ce que je souhaitais le moins au monde, et je me suis sentie totalement perdue sans elle pendant de longues heures.

Le même jour, une fois la nuit tombée, je ne pouvais pas dormir. La scène se répétait encore et encore dans ma tête, la folie s'emparait presque de moi. Je me suis levée brusquement de mon lit. J'ai quitté la tente, puis je me suis élancée à toutes jambes dans la forêt. A défaut d'avoir une forme animale pour me permettre de pratiquer mon métier, j'ai travaillé sur mon corps d'humaine afin d'être rapide et agile, un peu comme un grand singe. Malgré la rage qui se déchaînait en moi, je restais vigilante aux pièges. Ce serait regrettable de gâcher le sacrifice de ma mère en mourant bêtement.

J'ai retrouvé le cadavre de ma mère sur le sol. Elle était encore en forme de tigre. Ne pouvant plus la maitriser, les chasseurs ont du simplement l'achever et la laisser ici. Pourquoi ne l'avaient-ils pas emmenée au Calaix ? La question n'eut même pas le temps de se poser dans ma tête. Je l'ai reconnu : le plus jeune d'entre eux, un véritable rat, était resté ici en espérant attraper le métamorphe qui viendra ici pour retrouver le cadavre. Autrement dit, moi. Il sortit de sa cachette et mon pointa de son arme, en m'ordonnant timidement de me rendre. La peur était loin derrière moi, cette fois. La rage était beaucoup plus forte, et je l'ai sentie tourbillonner dans mon corps comme un ouragan. Le contrôle de moi-même m'échappait. Soudain, un coup de tonnerre s'échappa de mes lèvres gercées. " NON !!!! "

Un rugissement.

J'ai senti la colère exploser en moi. Je me souviens encore de cette sensation : elle était étrangement douloureuse, c'était comme si mes organes étaient en morceaux. Je me suis mise à hurler pour contenir ma douleur, tandis que le jeune chasseur en face de moi avait inconsciemment baissé son arme, totalement ébahi par ce qu'il voyait. La transformation n'a pas duré très longtemps. Une dizaine de secondes, peut être. Mais pour moi, c'était une éternité. La sensation lorsque je suis devenue un tigre à part entière était elle aussi très étrange. Mais le calme qui m'était donné pour réfléchir partit en éclats lorsque j'ai repris mes esprits. J'ai jeté un œil sur le cadavre de ma mère. Elle n'était même pas redevenue humaine avant de s'éteindre. Comme si sa rage serait éternelle, et que seule moi pouvais la rassasier.

J'ai fixé de nouveau le jeune homme en face de moi. Il était terrifié de voir une telle bête devant lui. Mais je ne voulais pas qu'il ne voit que mon visage déformé par la colère. Je voulais qu'il voit le visage de la mort elle-même.

J'ai bondi sur le cadavre de ma mère, et à l'aide de plusieurs coups de griffe, je lui ai arraché la peau de son visage. Le chasseur tenta de me tirer une balle dans la patte, mais j'ai bondi pour l'esquiver dès que j'ai entendu la gâchette. Une fois la sale besogne faite, je me suis efforcée de recouvrir ma tête avec la fourrure de ma mère. C'était ma façon de la venger : en portant son visage.

Je me suis finalement tournée vers mon ennemi, et j'ai voulu courir dans sa direction. Il me tira rapidement une balle dans l'épaule, mais la colère était tellement forte que je ne sentais ni la douleur, ni les incapacités de mon corps. J'ai couru pour le rattraper, et je l'ai plaqué au sol. Pour la suite... sachez que je l'ai laissé partir en très mauvais état. Il ne méritait même pas la mort. Il méritait de vivre avec un traumatisme jusqu'à la fin de ses jours. Avant de rentrer, j'ai voulu enterrer le corps de ma mère près du campement. Je l'ai alors transportée jusqu'ici. Pendant que je creusais la terre à l'aide de mes pattes, j'ai repris forme humaine : j'étais à présent calmée. Je me sentais mieux. J'ai prononcé mes derniers respects à la personne la plus importante de ma vie, puis je suis partie. J'ai dû réveiller un chaman en pleine nuit pour qu'il s'occupe de ma blessure. Et j'ai finalement pu dormir après tout ça.

Malgré la tristesse qui rugissait à l'intérieur de moi, j'ai pu me reconstruire. Parce que je ne suis pas faible : un Métamorphe ne peut s'accorder la faiblesse. Seulement, une vision amère se répétait dans mon esprit. Ma mère en train de se battre pour ma vie, et moi, qui restait plantée derrière elle à ne rien faire.

Impuissante.

Forcément, mon exploit ne passa pas inaperçu, et bientôt, tout le monde au campement était au courant que j'ai subi ma première transformation seule, et que j'ai ramené et enterré le cadavre de ma mère à côté du campement. Beaucoup de monde, en particulier ma famille, sont venus me remercier pour cela. J'ai finalement eu le droit au respect de tous.

Un an plus tard, j'avais dix-neuf ans. Je n'ai pas eu d'autre occasion de me transformer. Malgré cela, suite à mes très bons résultats en chasse, j'ai eu le droit de travailler seule avant mes vingt ans. Après ceci, mon histoire est encore à écrire... En espérant que le meilleur reste à venir.